Karate Bushido N°356 – 05/ 2007
LA SAGA DU COUP DE POING « DIRECT »
Avec l'accord d'Henry Plée, une chronique sera mise en ligne régulièrement. Pour ne pas faire double emploi, elle ne fera pas partie de celles contenues dans le livre "Les Chroniques Martiales". Etant donné que tous ceux qui apprécient les Chroniques d'Henry Plée ne possèdent pas obligatoirement l'intégralité de celles-ci, le webmaster espère que cela fera quelques heureux.
Pour répondre à de nombreuses demandes, vous trouverez ICI le lien pour accéder à l'archivage des chroniques déjà mises en ligne.
La Chronique du moment....
Normalement, le rituel animal de l’homme est la lutte.
Cependant TOUT CHANGE POUR UN COMBAT DE SURVIE.
Privé de cornes, de griffes et de crocs, l’Homme a eu la capacité, unique dans le règne animal, grâce à son intellect, de pouvoir se défendre ou d’attaquer en tenant une arme, telle qu’une pierre, un bâton pointu, une épée, un poignard ou autre. Ainsi armé, il cherche toujours à percer « droit devant » son « prédateur » (un animal ou bien un autre Homme devenu prédateur puisque ce dernier veut le tuer).
Cette action directe de « percer » (« tsuki » en karaté, « estoc » en escrime) est instinctive.
Lorsqu’en « rituel amélioré », l’Homme utilise son poing nu pour affronter un autre Homme, sa pulsion instinctive est par conséquent de l’utiliser pour repousser avec ce poing.
S’il frappe, il le fait directement pour atteindre le visage, parfois la gorge ou le ventre mais jamais les flancs ni le sexe… ainsi qu’on peut le constater lorsque deux hommes (normaux) se « bagarrent » dans une rixe.
Frapper d’un mouvement circulaire n’est pas instinctif (génétique),
Frapper du poing nu est historiquement récent.
Cependant, il ne faut pas croire que l’usage du poing fermé dans un affrontement rituel existe depuis que le premier « homo » se soit redressé il y a quelques millions d’années..
Cette façon de combattre remonte au Pancrace et au Pugilat des premiers « Jeux » Grecs.
Les traces écrites, dessinées, gravées ou sculptées datent des premiers « JEUX » … qui ne débutèrent pas à Olympie (où le trophée était une couronne d’oliver). Il y en eut auparavant à Némée (couronne de persil sauvage), à Isthme (couronne de pin), et à Delphe (couronne de laurier). L’Historien Paussanias, fait l’éloge dans ses Eliques d’un certain Sokratos, surnommé « le casseur de doigts », qui collectionna douze victoires en Pancrace aux Jeux de Némée et d’Isthme, deux à Delphe et trois à Olympie.
Les premiers Jeux Olympiques grecs datent exactement de 776 avant J.C.
Nous le savons parce que cette date marque à la fois la première célébration historique des J.O., la première liste officielle des vainqueurs dans chaque discipline, et également le départ de la chronologie grecque (comptée par olympiades, intervalles de quatre ans).
En 394 après J.-C. lorsque l’Empereur Théodose 1er se convertit au christianisme, que l’on célébre des « Jeux » en l’honneur de Zeus (père de Mars), un autre Dieu que le « Dieu des Chrétiens » lui fut insupportable et il les interdit.
Si nous n’avons rien décrivant les techniques de combats entre guerriers de cette époque (« Top secret » militaire, ou indifférence des Historiens ?), en revanche, nous avons la liste complète des Champions olympiques de –776 à +314 (272 J.O. tous les 4 ans !).
Nous savons aussi que les pancratiastes adolescents pratiquaient, deux par deux, des formes de combat codifiées, appelées Pyrriks, rappelant plus les Katas du Judo que les Tao-Lu du Karaté ou du Kung-Fu ; exercices qui perdaient de l’importance au fut et à mesure de la progression. Durant les Jeux, pour réjouir les spectateurs, les combats de Pancrace étant souvent précédés par ces « danses » exécutées par des adolescents nus… à voile et à vapeur.
1705
RENAISSANCE DU PUGILAT
Mais, si le « Pugilat » cessa à partir de 314 de notre ère, il devait renaître de ses cendres, en 1705 (un cycle de 1391 ans ?), sous le nom de « Boxe » : « to box » est une expression du début du XVIIIème siècle, qui signifie « donner un coup de poing directement ».
Les premiers combats de Boxe à poings nus se déroulèrent en Angleterre, où ils furent rapidement interdits, non pas pour leur « bestialité », mais en raison des paris qui étaient prohibés. Les paris étant autorisés aux USA, la Boxe y eut un immense succès.
Du fait que les journaux décrivant minutieusement ces combats sont en archives, nous sommes informés que les coups étaient assénés directement avec le devant du poing nu. Ce qui est « rituellement correct ».
En 1867 la boxe devint un vrai « Sport de Combat » par l’adoption des « Règles du Marquis Queensburry » (en réalité mises au point par John Chambers), ainsi que l’adoption du gant rembourré et trois catégories de poids : lourds (plus de 71,667 kg), moyens, et légers (au dessous de 63,503 kg.). A titre de comparaison, après 1986, il y aura 16 catégories de poids en boxe, soit… 40 « Champions du monde ». « On » fera de même en Karaté sportif.
Deux fois « Champion du monde », en 1715 et en 1719, James Figg (1675-1734) frappait uniquement avec le devant de ses poings, et en « directs ».. Le peu d’efficacité des attaques de poing directes peut également se confirmer par la durée incroyable de certains combats, tel que celui (à poings nus) de Mik Madden, qui mit K.O. Bill Hoves après… 6 h 31 minutes : ou celui qui eut lieu avec gants, un an après la fin des combats à poings nus, entre Andy Bowen et Jack Burke, en 1893, et qui dura… 110 rounds, 7 h 19 minutes.
Sublimement efficace le « Tsuki » avec le poing ? Hum…
Il en fut de même pour la « Savate », pieds chaussés et poings nus (elle était nommée « Chausson » dans l’armée), qui débuta en 1820, à Paris, dans le faubourg La Courtille. Les coups de poings étaient rudimentaires et on y utilisait plus les pieds que les poings, comme un certain style du « Pays du matin calme » admis aux J.O.
Il fallut attendre 1830, pour qu’un Maître d’Armes , Charles Lecour, ayant entendu parler de « Boxe », se rende à Londres pour étudier la « Boxe Anglaise » et, l’ajoutant à la Savate, crée la « Boxe Française ». J’ai dit Maître d’Armes parce que les Professeurs de Boxe Française étaient tous, à cette époque, également experts en escrime, en canne, et en bâton long.
Pour la Boxe Française, nous possédons également des documents fiables qui nous permettent de savoir ce qu’elle était, parce qu’en 1877, le plus brillant des Maîtres d’Armes, Joseph Charlemont (1839-1914), publia le 1er manuel technique de « Boxe Française ». On peut y constater que les attaques avec poings nus étaient toutes directes (dites « Jeté-directs »). Ce qui n’empêcha pas ce Maître de battre, en 1899, et bien qu’âgé de 60 ans, le Champion anglais de Boxe, Jerri Driscoll, qui l’avait défié… mais qui ignorait l’art de donner et de parer les coups de pied.
Ce « combat historique » fit que la « Boxe Française » devint sport de combat national, enseigné dans l’armée, la police, les écoles et les sociétés sportives. Un second manuel de « Boxe Française », publié par son fils en 1903 (j’ai également ce manuel dans ma bibliothèque), montre au travers de photographies excellentes que - chose étonnante, presque incroyable - les « coups de poing balancés » (crochets) n’étaient pas encore adoptés à cette époque.. En revanche les coups de pieds étaient splendides.
On peut comprendre qu’à poings nus les « pugilistes » grecs et les « boxeurs » de Boxe anglaise ou française étaient contraints de se tenir à distance respectable et par conséquent, pensaient uniquement à se frapper de loin en « directs » mais, vu la créativité des boxeurs de cette époque héroïque et vue l’importance des primes en £ ou en $, comment se fait-il qu’il ne leur vint jamais l’idée de frapper d’une façon circulaire pour passer autour ou sous la garde de leur adversaire ?
Mystère du blocage mental ? du rituel ? de la « tradition » ?
Car ce ne fut qu’en 1892 (date de naissance de mon père !) que le coup de poing direct fut complété par une nouveauté qui allait faire de la Boxe « Le Noble Art » : un coup de poing circulaire, nommé « jab » (« crochet »).
Ce coup fut inventé par James J Corbett (1866-1933, dit « Gentleman Jim »), qui devint le premier Champion du monde toutes catégories « officiel » (règles Queensburry), grâce à son « jab », ainsi qu’à une autre invention révolutionnaire, celle du premier « jeu de jambe » (en danseuse, qui fit rire tous ceux qui avaient parié pour son adversaire), mais qui ne réussit à battre John Sullivan (Ex-Champion du monde en 1882, anciennes règles)… qu’au 21ème round. Probablement parce qu’à cette époque, son « jab » était encore imparfait. Il n’était asséné que de haut en bas, sur la base du cou ou en travers de la bouche.
D’autres formes de « jab », plus expéditives, furent inventées par la suite. Le « jab » devint un coup semi-circulaire horizontal, frappant mâchoire, carotide, flancs, creux de l’estomac ou foie. Puis, devenant plus large, avec un mouvement en demi-cercle accompagné d’un balancement du corps, il fut nommé « swing ». Ensuite, frappant de bas en haut, la mâchoire ou le menton (que les Karatékas qui avancent la tête se méfient !) il fut nommé « uppercut ».
Pour quelle raison, durant plus de… 4.600 ans, les attaques circulaires, si efficaces et expéditives, ne furent-elles pas inventées ou furent négligées ?
Nous pourrions, certes, se le demander… si nous n’avions pas sous les yeux, en permanence, l’exemple de ce qui se passe encore dans tous les styles de La main de Chine … « modernes ». Seule l’attaque directe de l’ancienne boxe à poings des années 1700 est pratiquée au Dojo et en Championnats. Nous en resterons probablement là, parce que les démystifier et tirer un enseignement du passé de l’Escrime et de la Boxe Occidentale… serait renier la « supériorité » des Arts Martiaux d’Asie.
Et cela, les « Maîtres » de Karaté, de Taekwondo et de Kung-Fu feront tout pour l’éviter.
LA PENSÉE DU MOIS
« C’est dur d’être un bon perdant, mais c’est plus dur encore d’être un bon gagnant, … et vous l’êtes ! »
John Sullivan à James J Corbett (« Gentleman Jim ») qui venait de lui ravir le titre de Champion du Monde, et qui lui disait, en larmes, « si nous avions eu le même âge, vous m’auriez battu ».